Sarov, où vivait l’un des Saints les plus vénérés de Russie, Saint Séraphin de Sarov, devint au XXe siècle le berceau de la recherche nucléaire soviétique, puis russe. Cette ville, totalement secrète et fermée, était désignée par le code « Arzamas 16 » (le nom de Sarov ne figurait pas sur les cartes, elles-mêmes « modifiées » pour indiquer Arzamas a une certaine distance de son lieu réel).

    J’ai eu le rare privilège de visiter ce site il y a bientôt 20 ans. Et j’ai pu voir le lieu où vivait Saint Séraphin, en pleine forêt, en compagnie des ours et des loups qui venaient le voir en toute quiétude. J’ai visité également le musée unique et effrayant de la bombe atomique, visite commentée par des scientifiques de très haut rang qui savaient parfaitement faire la part des intérêts de la défense, face aux dangers de leurs recherches pour l’humanité.

    Le choix du lieu de l’intervention du Patriarche, n’est donc pas anodin. Et son allocution qui reconnaît les acquis de la science, remet aussi les valeurs humaines à leur place, dans un monde moderne qui s’est souvent emballé, au détriment de ces valeurs premières. Il rappelle, dans son introduction, les conditions dans lesquelles a commencé son dialogue avec la communauté scientifique de Sarov.

« Je me souviens des années 90, très difficiles pour notre pays. Presque tous les secteurs de la vie nationale s’étaient alors dégradés, mais la plus terrible des dégradations a menacé la communauté scientifique. Je me souviens bien de ces moments où les gens ne recevaient pas de salaire (…). Par conséquent, l’expérience que j’ai acquise grâce la collaboration avec votre communauté à ce moment très difficile restera toujours dans ma mémoire. »

Il évoque ensuite divers sujets de préoccupations nés du développement de la science et de l’évaluation nécessaire des conséquences de ces développements sur l’homme. « Beaucoup de changements résultent des progrès technologiques, mais devrions-nous tous les accepter innocemment, et devrions-nous tout applaudir ? Ne devons-nous pas évaluer de manière critique, certaines des conséquences de ces progrès » ?

La question de la réalité se pose également aujourd’hui avec plus d’acuité, « à quel point reconnaissons-nous la limite, entre la réalité de ce monde, et la réalité artificielle ? Entre le monde de la parole vivante et le monde des chiffres binaires ? À quel point comprenons-nous clairement les conséquences de tout cela, c’est à dire de l’intervention du numérique dans nos vies » ?

Et d’en appeler à la nécessaire coopération entre l’église, le pouvoir politique et les sciences : « Nous, hommes de foi, ne pouvons sans vous, hommes de science, répondre à cette question vitale : pourquoi et comment les technologies se transforment d’assistants en occupants ? Où est la limite entre la nécessité du contrôle de l’État sur la vie des citoyens et la violation des droits constitutionnels à la liberté » ?

Le Patriarche emprunte enfin, une partie de sa conclusion, au philosophe Pyotr Evgenievich Astafyev : « Plus l’homme contemporain a tout ce qu’il cherche, tout ce qui le préoccupe, tout ce qui absorbe tous les intérêts de son âme – plus il est mécontent. Plus il accumule entre ses mains les moyens de réaliser le bonheur qu’il recherche, plus il est malheureux. Plus sa richesse augmente, plus il ressent la lourdeur de son indigence ».

Vous trouverez le texte intégral de cette allocution en suivant le lien ci-dessous.

Alexandre Troubetzkoï