Dans un excellent article du général Jean-René Bachelet publié récemment par le revue « Méthode », ce dernier mentionne l’expansion de l’Otan à l’Est et les problèmes évidents que cela pose à la Fédération de Russie. Il revient en particulier sur la question de savoir si les Etats-Unis, par la voix de James Baker avaient, oui ou non, donné à Mikhaïl Gorbatchev l’assurance, qu’en compensation de son accord sur la réunification de l’Allemagne, l’OTAN n’avancerait pas « d’un millimètre vers l’Est ».
Je cite Bachelet : « On ne débattra pas ici du point de savoir si des engagements pris auprès de Michaïl Gorbatchev par le représentant des Etats-Unis, notamment le secrétaire d’état James Baker en 1990, quant à un éventuel élargissement de l’OTAN, ont été trahis ou non. Pour les Russes, cela ne fait pas débat : les Américains ont trahi leur parole. En Occident, on estime généralement qu’aucun engagement n’avait été pris ».
Dans son livre récent, le sénateur Alexeï Pouchkov apporte une réponse de première main à cette question. Cette réponse, il la tient lui-même d’Alexandre Bessmertnykh, le diplomate qui a dirigé brièvement le Ministère des Affaires étrangères d’URSS (de janvier à août 1991, après la démission d’Édouard Chevardnadze). Bessmertnykh a participé, en tant qu’ambassadeur de Russie aux Etats-Unis, aux négociations entre le Secrétaire d’État James Baker et Mikhaïl Gorbatchev, peu après la chute du Mur de Berlin.
La réaction de Mikhaïl Gorbachev et de son ministre des Affaires étrangères Edouard Chevardnadze fut telle que le président Bush n’arriva pas à la croire quand elle lui fut rapportée par Baker. « Ce n’est pas possible, – dit Bush à Baker, – les Russes jouent une sorte de double jeu. Retourne là-bas, ils ont surement préparé quelque chose. Je ne peux pas laisser la réunification de l’Allemagne échouer ». Et Baker est revenu à Moscou… pour recevoir à peu près la même réponse que la première fois !
Vous retrouverez le détail de ces épisodes dans le chapitre premier, pages 36 et suivantes, du livre d’Alexeï Pouchkov, « Le jeu russe sur l’échiquier global », paru chez ODM Editions.
De nombreux articles mentionnent cette duplicité, elle est attestée par l’ouverture des archives, avec la déclassification des mémorandums, qui sont des documents diplomatiques émanant de la NSA et conservés à George Washington University. L’historienne américaine les ayant disséquées, Mary Élise Sarotte, en a compilée un ouvrage en anglais: Not one inch. America, Russia and the making of post- cold
War stalemate. Une traduction en français serait la bienvenue.
C’est Boris Eltsine qui accepta en 1994, sur l’insistance de Bill Clinton, ne pouvant s’y opposer, son pays étant sous perfusion bancaire occidentale. D’ailleurs, les principaux protagonistes américains de cet arrangement sont encore vivants, à savoir:
le Secrétaire d’État aux Affaires Étrangères James Baker, Robert Gates conseiller adjoint de la NSA, puis Directeur de la CIA, Jack Matlock dernier ambassadeur américain en URSS et historien de métier, ayant consacré deux ouvrages à la fin de l’empire soviétique.
Il est hautement improbable que M. Gorbatchev ait consenti à la Réunification Allemande, membre de l’OTAN, sans aucune contrepartie militaire sécurisant son pays, alors qu’il acceptait de se retirer de la RDA. Qui peut feindre de croire une telle fable?