Une semaine extraordinaire vient de s’écouler pour le gouvernement Modi et ses relations avec le Quad. Appelez cela un moment décisif, un tournant ou même un point d’inflexion – il y a des éléments des trois.
La semaine dernière a été marquée par la visite de deux jours à Delhi du Premier ministre japonais Fumio Kishida, par un sommet virtuel entre le Premier ministre Narendra Modi et le Premier ministre australien Morrison, et par des consultations au niveau du ministère des affaires étrangères avec la Sous-secrétaire américaine aux affaires politiques Victoria Nuland. Le sujet était toujours le même, la situation autour de l’Ukraine.
Depuis, Joseph Biden s’est permis de dire que la position de l’Inde à l’égard de l’Ukraine était « quelque peu bancale ». Qui aurait pu imaginer que la géopolitique de l’Ukraine allait secouer la Quadrilatérale ?
L’Inde avait certainement eu une prémonition. L’establishment indien de la politique étrangère avait bien vu ce qui commençait à se passer en Ukraine au cours de la dernière semaine de février. Il avait, comme Elie dans la Bible, observé dès novembre/décembre au moins, un petit nuage semblable à la paume d’une main s’élevant de la mer.
Contrairement aux médias, aux universités ou aux groupes de réflexion indiens, les dirigeants indiens avaient senti qu’une lutte mondiale historique pour la domination des États-Unis et de leurs alliés occidentaux était en train d’éclater en Ukraine, contre la Russie et la Chine. Modi a senti que l’Inde subirait des dommages collatéraux si elle ne se mettait pas en selle pour descendre de la montagne, alors que le ciel commençait à devenir noir de nuages poussés par le vent, avant l’arrivée de l’énorme averse.
Tout observateur perspicace aura remarqué que Modi réfléchissait sérieusement aux affaires étrangères depuis plusieurs mois. Sa participation au Sommet de la démocratie en décembre dernier avait incontestablement un air de fin de cycle – la fin d’une époque et le début d’une autre. On pourrait l’attribuer à l’effet dégrisant de la pandémie.
Le fait est que l’Inde a lutté contre cette pandémie toute seule. Quel que soit le battage médiatique dont elle a fait l’objet, l’Inde a réalisé qu’elle n’avait pas de véritable partenariat avec les États-Unis ou l’UE, qu’il s’agissait d’une simple relation transactionnelle et qu’en dernière analyse, l’Inde vivait dans sa région.
L’Inde a effectivement géré la pandémie bien mieux que la plupart des pays. Les experts internationaux le reconnaissent aujourd’hui, et ceux qui lui jetaient la pierre à l’époque l’acceptent maintenant aussi, à contrecœur.
Cependant, alors que l’économie a été ravagée au point d’être méconnaissable, le gouvernement est en train de « recoller les morceaux » et d’aller prudemment de l’avant. Il y a encore tant d’incertitude dans l’air à propos d’une nouvelle « vague » de pandémie qui viendrait, pour noyer toutes les cérémonies de réparation et de reconstruction d’une vie normale.
En bref, la lutte entre grandes puissances dans la lointaine Europe, précipitée par l’administration Biden à des fins géopolitiques pour isoler et affaiblir la Russie, a éclaté à un moment crucial où l’Inde est de plus en plus sceptique à l’égard des politiques et des qualités d’homme d’État du président américain. L’image que présentent les États-Unis est loin d’être convaincante : un champ de bataille de tribalisme et de guerres culturelles, une superpuissance vieillissante, en déclin, dont l’influence mondiale diminue.
Dans la course de l’économie indienne vers son destin, les États-Unis ne sont d’aucune aide. D’autre part, le déclin du multilatéralisme et les nouvelles contraintes imposées à la croissance par la propension croissante des États-Unis à utiliser le dollar comme une arme, menacent d’anéantir les « pousses de croissance » post-pandémique de l’économie indienne.
Lundi, Biden a participé à la « Business Roundtable » des PDG des plus grandes entreprises de l’économie américaine. Il s’est vanté : « 6,7 millions d’emplois l’année dernière – le plus grand nombre jamais créé en un an ; plus de 7 millions maintenant. 678 000 emplois créés rien que le mois dernier, en un mois. Le chômage est tombé à 3,8 %. Notre économie a connu une croissance de 5,7 % l’année dernière, la plus forte depuis près de 40 ans. Nous avons réduit le déficit de 360 milliards de dollars l’année dernière. Et nous sommes en passe de le réduire de plus de 1.000 milliards de dollars cette année. »
Biden est naturellement enthousiaste au-delà des mots. Pourtant, lorsqu’il a délibérément orchestré une confrontation avec la Russie à ce stade, il n’a pas pensé à l’impact paralysant et aux conséquences en aval que ses « sanctions de l’enfer » draconiennes contre une grande économie du G20 auraient sur les économies en développement.
Un rapport de la CNUCED du 16 mars, intitulé « L’impact de la guerre en Ukraine sur le commerce et le développement », conclut : « Les résultats confirment que les perspectives de l’économie mondiale se dégradent rapidement, sous l’effet de la hausse des prix des denrées alimentaires, des carburants et des engrais, de l’accroissement de la volatilité financière, du désinvestissement dans le domaine du développement durable, de la reconfiguration complexe des chaînes d’approvisionnement mondiales et de l’augmentation des coûts commerciaux. Cette situation qui évolue rapidement est alarmante pour les pays en développement, et en particulier pour les pays africains et les pays les moins avancés, dont certains sont particulièrement exposés à la guerre en Ukraine et aux pénuries et aux récessions induites par l’inflation ».
Biden sait-il seulement qu’au moins 25 pays africains dépendent de la Russie pour couvrir plus d’un tiers de leurs importations de blé ? Ou que le Bénin dépend à 100 % de la Russie pour ses importations de blé ? Et que la Russie fournit du blé à des prix préférentiels à ces pays pauvres ?
Maintenant, comment ces pays pacifiques et misérables de la planète peuvent-ils importer de la Russie, lorsque Biden et la chef de l’Union Européenne, Ursula Gertrud von der Leyen s’unissent pour bloquer les canaux bancaires pour le commerce avec la Russie ? Le Delaware peut-il trouver une solution ?
La cruauté et la complaisance cynique avec lesquelles l’administration Biden et l’UE mènent leur politique étrangère sont absolument stupéfiantes. Et, remarquez bien, tout cela se passe au nom des « valeurs démocratiques » et du « droit international » !
L’Inde ne peut pas être d’accord avec la tentative irréfléchie des États-Unis et de l’Union Européenne de militariser les liens économiques mondiaux. Le fait est que les États-Unis et l’Union européenne ne gagneront peut-être même pas cette guerre en Ukraine. La Russie a presque achevé 90 % de ses opérations spéciales. À moins que Biden ne permette à Kiev d’accepter un accord de paix, la division de l’Ukraine le long du fleuve Dniepr est dans les cartes.
Les États-Unis déstabilisent l’ordre de sécurité européen tandis que les sanctions occidentales déstabilisent l’ordre économique mondial. Les États-Unis et l’UE doivent assumer la responsabilité de ces dommages collatéraux. L’Occident panique à l’idée que le monde vit déjà au siècle asiatique.
« L’une des raisons de l’optimisme qui règne au cœur de l’Asie est l’immensité des ressources naturelles de la région (asiatique) », écrit le célèbre historien d’Oxford, Peter Frankopan dans son récent ouvrage « The New Silk Roads : The Present and Future of the World ». En effet, le Moyen-Orient, la Russie et l’Asie centrale représentent près de 70 % des réserves mondiales prouvées de pétrole, et près de 65 % des réserves prouvées de gaz naturel.
Le professeur Frankopan écrit : « Ou encore, il y a la richesse agricole de la région qui s’étend de la Méditerranée au Pacifique qui représente plus de la moitié de la production mondiale de blé et près de 85 % de la production mondiale de riz. »
« Ensuite, il y a des éléments comme le silicium, qui joue un rôle important dans la microélectronique et la production de semi-conducteurs, où la Russie et la Chine représentent à elles seules les trois quarts de la production mondiale ; ou encore les terres rares comme l’yttrium, le dysprosium et le terbium qui sont essentielles pour tout, des super-aimants aux batteries, des vérins aux ordinateurs portables, dont la Chine représente à elle seule plus de 80 % de la production mondiale. Les ressources ont toujours joué un rôle central dans le façonnement du monde. Cela rend le contrôle des routes de la soie plus important que jamais. »
L’Occident semble toujours vouloir « revenir à la normale, – écrit Frankopan, – et il s’attend à ce que les nouveaux arrivants reprennent leurs anciennes positions dans l’ordre mondial. » Il est évident que l’Inde, ancienne colonie britannique, comprend le véritable agenda qui se cache derrière la lutte géopolitique de Washington et Bruxelles avec la Russie. Aujourd’hui, l’Inde cherche des partenariats dans toutes les directions, Russie et Chine comprises.
Si le site d’information chinois Guancha a raison, ce qui est le cas la plupart du temps, « les relations diplomatiques entre la Chine et l’Inde vont se détendre de manière significative et entrer dans une période de reprise. La Chine et l’Inde échangeront des visites de responsables diplomatiques dans un délai relativement court. Les responsables chinois se rendront d’abord en Inde, et le ministre indien des affaires étrangères, Jaishankar, viendra en Chine. » C’est une bonne nouvelle.
La stature unique de Modi dans la politique indienne lui permet de prendre des décisions difficiles. Le mandat renouvelé qu’il a obtenu du cœur du pays le met en position d’innover en matière de politique étrangère.
Traduction AFR – Source (en anglais)
Malheureusement , les habitants de l’UE ou des USA n’ont pas leur mot à dire . Comme les autres , ils subissent les décisions de quelques uns .
Quand je pense a tout ce que nous avons raté depuis la reconnaissance de laChine par De Gaulle , la sortie de l’OTAN et tout le reste. Des civilisations raffinées et millénaires reprennent leur envol et peut-être dans un monde multipolaire trouvera-t-on des partenaires digne de parole.
Voeux pieux